Avant de retrouver Neven, j’ai voulu interroger Denis Rocaboy, salarié de l’Office de Développement Culturel du Mené sur le rôle de l’association sur son territoire :
Denis Rocaboy : L’ODCM est une association qui a aujourd’hui 24 ans et dont la mission est d’accompagner la vie associative et les collectivités sur des projets à visée culturelle. Nous accompagnons aussi le jeune public sur les missions de lecture publique. Il y a bien sûr le volet cinéma pendant le Mois du Film Documentaire mais au-delà, nous projetons des films toute l’année avec des cycles patrimoines dédiés notamment à l’iconographie. Depuis 3 ans, le volet patrimoine s’est renforcé. La base de donnée photographique constituée dès le démarrage de l’association ( 1 000 photos au démarrage ) s’est étoffée au fil des ans mais il nous manquait un système de classement efficace. J’ai apporté le fond de mon père ( 40 000 photos ) ce qui nous a permis d’obtenir un financement européen pour salarier une personne. Neven est arrivé avec un regard plus tourné vers la photographie et en lien avec son travail de cinéaste. Le pont entre sa pratique et nos besoins nous a paru correspondre.
L’objectif de son poste est de montrer l’importance de la photographie au public, le sensibiliser et ramener de la pratique là où le numérique tend à faire perdre les archives au fond des disques durs.
Neven Denis, réalisateur rennais que nous avions rencontré l’an dernier lors de la tournée de son film L’image en commun est cette année à l’origine du Cycle Cinéma et Photographie. Une proposition regroupant 3 soirées sur le territoire du Mené qui débutent au Gouray le vendredi 6 novembre.
Maxime Moriceau : Quel rôle as-tu joué dans cette proposition ?
Neven Denis : J’ai été recruté il y a un an comme animateur au sein de l’Office de Développement Culturel du Mené. Ma mission est d’animer le collectage d’un fond documentaire basé sur les archives photographiques personnelles des habitants du territoire. Depuis quatre ans, on monte la photothèque du Centre-Bretagne : 60 000 documents qui seront à terme accessibles en médiathèque pour tout type de projet valorisant le patrimoine. Mon travail est de finaliser ce collectage et de mettre en valeur le fond documentaire. Avec les bénévoles du groupe de collectage, nous avons prévu trois temps forts sur les communes de Le Gouray, de Merdrignac et de Plessala au mois de novembre.
Maxime : En quoi a consisté la mission de collectage ?
Neven : Nous avons formé une équipe de bénévoles collecteurs. Il s’agît d’un travail d’enquête et de numérisation en base de données pour monter des expositions. Celle de Merdrignac porte sur les fêtes locales et la convivialité sur la commune. On a mis le focus sur la fanfare, le théâtre et les correspondants de presse de l’époque au travers de 80 photos imprimées sur bâche et visible gratuitement en plein air jusqu’au 15 novembre. L’inauguration a eu lieu le 10 octobre, et nous avons organisé une projection dans l’église de films anciens retraçant les fêtes de la madeleine. La journée était animée avec un atelier photo, la réalisation de sténopés* ainsi que d’une fresque avant de s’achever en musique.
Maxime : Quel lien entre ce projet et le Mois du doc ?
Neven : Nous avons voulu proposer des films en lien avec la photographie. L’idée étant de proposer des films éclectiques qui questionnent l’image au cinéma, comment se fabrique-t-elle ? Nos choix se sont fait par coup de cœur que ce soit du point de vue formel que dans ce que nous racontent ces films. Par exemple, La Ceinture du diable est un court-métrage de fiction qui a été tourné au Gouray dans les années 80, ce sont les bénévoles qui m’ont parlé de ce film. L’idée est d’organiser une rencontre entre le réalisateur et les figurants de l’époque et de pouvoir documenter ce qui s’est joué dans le temps entre ces habitants et ce réalisateur durant ces 3 jours de tournage : une équipe de 30 personnes est venue filmer dans l’école primaire qui n’était plus occupée. Les habitants ont ramené les meubles anciens qu’ils avaient racheté pour reconstituer l’époque des années 1910. Je suis aller rencontrer Yannick Letoqueux, le réalisateur, qui habite Ploubalay. Son film est archivé à la Cinémathèque de Bretagne mais il n’est pas encore numérisé. Il nous ramènera sa copie qu’on projettera en pellicule 16mm ! Pour compléter la séance, nous projetterons un autre court métrage : Regards libres de Romain Delange. Le thème des enfants traverse ces 2 films et nous avions envie d’organiser une séance scolaire pour boucler la boucle.
Maxime : Veux tu nous parler des autres séances ?
Neven : Le 12 novembre, nous serons à Merdrignac et présenterons un film de 1967 intitulé Si j’avais quatre dromadaires de Chris Marker. Au delà du sujet qui traite de la photographie, il y a un aspect causerie autour des photos qui résonne bien avec ce qu’on organise en EHPAD en lien avec l’ADMR. On vient discuter avec les résidents à partir des photos collectées pour travailler la mémoire et l’expression. On a aussi fait une visite de l’exposition avec eux qui a donné lieu à de nouveaux collectages de leur parole.
Enfin le 27 novembre, à Plessala, nous aurons le plaisir d’accueillir Seb Coupy, le réalisateur du film Lux qui nous parle de l’électrification des villages au Burkina Faso. C’est un sujet qui touche aussi les anciens du coin qui ont vécu l’inauguration de la station électrique dont on a retrouvé plusieurs photos. Ça forme un beau parallèle et le fait que le film soit composé exclusivement de photographies donne une bonne cohérence au tout.
Maxime : Et du côté de tes projets ? Continues-tu à réaliser ?
Neven : J’ai commencé à réaliser un documentaire sonore sur ce que c’est que le collectage et l’histoire de l’évolution de la photographie. Je voudrais mettre en avant son côté collectif et son rôle de vecteur de rencontres. Ma casquette d’auteur s’inscrit complètement dans le prolongement de mon rôle d’animateur. J’ai aussi mené un atelier sténopé en classe de primaire au Gouray l’été dernier. Les enfants ont pu réaliser des solar-graphies : les sténopés sont restés en exposition deux mois en extérieur. Ça a donné de belles surprises puisqu’on y découvre les différents tracés du soleil qui se sont décalés au fil des deux mois d’été. En tout cas, quelque soit ma casquette, je suis dans un champ d’expérimentation très large qui m’amène beaucoup de belles rencontres avec des gens généreux et passionnés !
Maxime : Pour finir, à titre personnel, quelles passerelles vois-tu entre cinéma et photographie ?
Neven : Ce sont deux façons de raconter notre monde et de se rencontrer. J’aime particulièrement aller vers des formes artisanales comme le sténopé ou l’image argentique pour les rendre accessibles au plus grand nombre.
* sténopé : n.m dispositif optique très simple permettant d’obtenir un appareil photographique dérivé de la chambre noire. Il s’agit d’un trou de très faible diamètre percé dans une plaque de très faible épaisseur. Par extension, on appelle ainsi l’appareil photographique utilisant un tel dispositif.