Pendant une semaine, du 18 au 22 décembre, Marie Bottois était présente à la Maison des Auteur-rices pour accompagner Oona Spengler en résidence. À cette occasion, nous avons projeté son film "Le passage du col", qui en parallèle d’un brillant parcours en festivals, fait partie de la Sélection officielle « Court-métrage documentaire » pour les César 2024.
J’en ai profité pour lui poser quelques questions.
Bonne lecture !
Emma Lohé, en mission de service civique
Résumé du film :
"Léna est la sage-femme, je suis la patiente. Elle renouvelle mon stérilet et je mets en scène notre rendez-vous. La caméra devient un miroir alors que se tisse une relation de soin."
(Marie Bottois)
Emma Lohé : Tu es monteuse et réalisatrice, que préfères-tu entre les deux ?
Marie Bottois : Il n’y a pas vraiment de préférence, les deux me plaisent. Cependant, ce que je fais principalement c’est du montage. Pour moi, faire un film, c’est une idée à mettre en pratique. Je n’ai fait que des formes courtes et je ne me verrais pas écrire et réaliser un long métrage. Ce que j’aime quand je réalise, c’est le geste de filmer, de préparer un tournage et que ça se fasse rapidement, contrairement au montage qui se passe sur le temps long. Pour moi, le montage s’apparente plus à un métier que j’ai le sentiment d’avoir appris, à force d’expérience mais aussi à l’aide d’une formation à la suite de mes études. Je me définis d’abord en tant que monteuse.
E.L : Pourquoi ce choix de filmer avec une caméra argentique ?
M.B : Je voulais faire le film en pellicule parce que le support me plaît. J’aime le rendu du grain sur la peau, je trouve qu’il y a quelque chose d’assez doux. Je n’avais pas envie d’une image numérique trop nette pour montrer mon corps. En parallèle de mon activité de monteuse, je fais partie de deux laboratoires de cinéma argentique, l’Etna à Montreuil et l’Abominable à Epinay-sur-Seine. Au sein de l’Etna, s’est créé en 2016 un collectif féministe en non-mixité. On s’est filmées les unes les autres en pellicule. Ça avait donc du sens de tourner le film en argentique parce que je pouvais avoir prise sur tout le processus et être accompagnée par des personnes en qui j’ai une grande confiance. C’est moi qui ai développé les images au labo, et j’ai été la première à les découvrir. C’était très important dans ce processus de réappropriation de son corps et de son image. Sur le tournage, personne n’avait de retour vidéo et c’était quelque chose d’assez important pour moi aussi.
E.L : Ce documentaire est-il destiné à un public en particulier ? Avait-il un but particulier (un but informatif, de sensibilisation…) ?
M.B : Non, il n’y a pas de but bien précis, je pense que quand on fait un film, l’objectif c’est qu’il soit vu par le plus grand nombre, peu importe le genre. J’ai fait ce film pour plein de raisons, certaines politiques, d’autres personnelles, les deux choses étant liées d’ailleurs. Avec les plans du sexe, il y avait l’idée d’aller contre un tabou et de montrer de façon anatomique cette partie du corps que l’on connaît mal. J’avais envie que l’on puisse voir à quoi ça peut ressembler, aussi pour mieux se connaître car on est moins vulnérable quand on se connait mieux. Il y un côté pédagogique aussi, c’est un film que j’aurais aimé voir quand j’étais plus jeune. Il montre aussi ce que de nombreux hommes ne voient jamais, ce qui se passe dans un cabinet gynécologique et ce que signifie physiquement prendre en charge la contraception. Le fait de montrer un rendez-vous médical où la patiente à la main sur le rendez-vous, où elle est écoutée et considérée comme une personne dans son entièreté, je pense que ça peut parler à tout le monde.
E.L : Cela a-t-il été dur de se montrer « vulnérable », de montrer son corps ?
M.B : Le film parle de la question de la réappropriation de son corps et de son image, c’était pour moi une évidence que ce soit à la patiente de décider comment montrer son corps, donc je voulais vraiment que ce soit moi. Je n’ai même pas imaginé le demander à quelqu’un d’autre. Pendant le tournage ce n’était pas dur, parce que les personnes qui étaient sur le plateau je les connaissais toutes, j’avais vraiment une grande confiance et c’était même plutôt assez drôle de diriger le film en étant à moitié nue. C’est d’ailleurs ce que j’ai voulu faire ressortir avec les passages de noir où on entend la présence de l’équipe. Le plus difficile ça a été le moment où j’ai découvert les images. J’ai été un peu choquée par ce que j’avais fait, j’ai réalisé que j’étais allée loin et je me suis questionnée : est-ce-que je pouvais montrer les images ? J’ai fait un premier montage et je l’ai montré à quelques personnes proches qui ont été très émues. Elles m’ont encouragée à poursuivre et ont confirmé la nécessité à aller jusqu’au bout du film.
E.L : Dernière question qui concerne également Oona, quel est le but de cette résidence, pourquoi êtes-vous présentes toute la semaine ?
Oona Spengler : La résidence dure 4 semaines, dont 3 dédiées à l’écriture documentaire et une semaine dédiée à la matière. C’est à dire que ça peut être des rushes qui ont été tournés, ou un travail sur de l’animation, un travail sur des archives historiques… C’est à partir du rapport à cette matière que l’on va pouvoir choisir quel film on veut faire, ne pas simplement aller dans la théorie, le concept, l’idée mais aussi venir triturer une matière. Le but de cette semaine dédiée à la matière est de le faire accompagner d’une personne de notre choix. Marie étant spécialisée dans l’argentique, sachant que j’allais utiliser des images d’archives et des images très altérées ou encore des images que j’ai filmées en pellicule, j’ai fait le choix de travailler avec elle pour cette semaine.
M.B : C’est assez rare pour les monteurs et monteuses d’avoir la chance d’intervenir en étant rémunéré·es en amont du montage. Je trouve ça super que l’on puisse expérimenter cela. Regarder la matière à deux fait que tu ne la vois pas pareil. Le travail n’est pas le même que lors d’un dérushage qui précède juste le début du montage. C’est plutôt s’accorder un temps pour la réflexion, avoir le temps de faire des hypothèses théoriques, faire des ébauches rapides avec la matière, se poser des questions. L’objectif est plutôt d’explorer les différentes directions à prendre.
O.S : J’ai l’impression que hors contexte de résidence, on a du mal à s’autoriser à passer du temps uniquement à ressentir des choses, à parler, à échanger des idées, à rebondir en regardant des images, sans se mettre de pression et sans être dans un rythme effréné de rendu à tout prix. C’est très important de réfléchir avec qui on veut travailler, il y a des gens avec qui tu as l’impression de ne pas parler la même langue, alors que tu parles la même langue. Ça peut être compliqué si la personne en face ne comprend pas ton projet et ça peut ralentir tout un travail. Donc cette résidence permet ce luxe là et permet de prendre le temps de la rencontre.