Depuis quelques semaines, Jean Breschand est à Mellionnec dans le cadre des résidences d’écriture de Ty Films. L’occasion pour nous de le questionner sur son rapport au cinéma et à l’écriture.
« Raconter d’autres types d’histoires »
Hortense Lemaitre : En ce moment, tu accompagnes le réalisateur Lucas Vernier dans le cadre des Résidences d’écriture de Ty Films. Peux-tu nous raconter ton approche dans l’écriture d’un film, d’un scénario ?
Jean Breschand : Raconter une histoire est pour moi une vraie question, qui est aussi bien une question esthétique, philosophique. Ecrire, c’est réfléchir sur ce que l’on écrit, c’est apprendre à nommer des questions de cinéma. La formation et l’accompagnement à l’écriture me permettent d’entretenir une réflexion sur le cinéma et de continuer à l’élaborer, la construire. A chaque projet, chaque personne, on est confronté à de nouvelles questions, des nouvelles difficultés aussi. Et il faut les élucider. Pour cela, on rentre dans un processus qui est très enrichissant. Cela m’a beaucoup aidé à penser le cinéma.
Et puis écrire est aussi une manière d’interroger ce qu’est une histoire. Je pense qu’aujourd’hui, c’est un enjeu, à la fois pour la fiction que pour le documentaire.
La question de l’histoire, du récit, aujourd’hui, je la trouve très importante et en même temps sous-estimée. Je pense qu’il est nécessaire de se raconter d’autres histoires, et que c’est l’un des enjeux aujourd’hui pour les cinéastes.
Car il y a quand même de fortes récurrences sur les types d’histoires qui arrivent sur le marché. Ce sont des histoires avec une inscription sociale et réaliste importante, le plus souvent autour de la famille, décomposée, recomposée, etc. On a toujours l’impression - pour parler des films français – que les présupposées de l’histoire sont déjà balisés. Et qu’en plus, le film ne raconte qu’une seule chose.
Sans parler d’un certain type de cinéma américain, dont la plupart des blockbusters obéissent tous au même enjeu avec le même modèle de personnage qui doit sauver son pays et qui est souvent un personnage souffrant, mais qui va dépasser sa propre souffrance ou va la mettre au service d’un intérêt plus grand que lui. Et s’il ne sauve pas le monde, le scénario n’a pas lieu d’être. Ces récurrences viennent de la façon dont le marché est organisé et qui est extrêmement contraignant. La façon dont les films se mettent en production, comment les financements se font, cela oriente énormément, organise et finalement formate les types d’histoire.
Le problème du scénario aujourd’hui est extrêmement normé. Il y a déjà tout un vocabulaire qui se met en place. On en vient à se dire qu’un bon scénario doit débuter par une "exposition", puis il faut qu’il y ait un événement dramatique à la dixième minute pour saisir le spectateur, etc., et on se met à produire des faux objets. Je pense que les gens qui écrivent ça n’y croient pas eux même. Car la pression est plus forte qu’on ne le pense. J’ai vu des films se faire piéger par ça. C’est parce qu’on s’intéresse à un personnage, à une situation, une tension, un événement, que l’on se met à le développer, parce qu’on a envie de l’explorer de voir comment il joue. À ce moment là, le scénario devient le lieu du dialogue entre soi et soi : « De quelle manière ai-je envie d’explorer ce personnage ? Jusqu’où j’ai envie de le développer, dans quelle direction ? Qu’est-ce que ça va m’apporter comme lecture sur ce personnage mais aussi sur le monde dans lequel je le fais évoluer. Et là, le scénario redevient intéressant. On est dans un moment très curieux avec l’objet scénario contre lequel il faut « se battre ». Il faut reconstruire autrement la façon dont on pense le scénario. Ça ne veut pas dire qu’on n’en a pas besoin.
Une histoire, c’est quoi ?
C’est une façon de regarder les autres. Comme disait l’autre (F. Truffaut) : « La vie a plus d’imagination que nous. » Et les récits doivent aussi nous aider à nous imaginer, à nous raconter, à déployer nos vies autrement que le programme social ou politique du moment. C’est aussi ça la puissance narrative des livres et des films : c’est de pouvoir nous projeter dans d’autres devenir avec d’autres affects que ceux avec on est un peu normés, soumis malgré nous parce que les comportement sont organisés d’une certaine manière. Tout à coup, on peut se dire « Tiens, quels sont les autres récits que l’on peut faire de soi ? Avec quel autre imaginaire puis-je regarder les autres ? » Je pense que la puissance de l’imagination narrative est là : d’ouvrir d’autres possibles que ceux à quoi nous assignent au quotidien les contraintes sociales.
Hortense Lemaitre : Rêver !
Jean Breschand : Oui, rêver. Il y a une grande puissance constructive du rêve. Et le rêve ce n’est pas échapper aux dures réalités. C’est pouvoir projeter d’autres devenirs et d’autres façons de se rapporter les uns aux autres, ce n’est pas une échappatoire.
Hortense Lemaitre : Le scénario prend de plus en plus d’importance dans les institutions ?
Jean Breschand : Oui, mais d’une mauvaise manière. Il y a une fonction contractuelle du scénario. Un financeur signe sur un scénario bien précis et pas un autre. C’est pour cette raison que le scénario est devenu un enjeu très fort et qu’il faut faire attention, surtout du côté des auteurs. Notre surmoi financier, on peut dire ça comme ça peut-être, se dit que pour que je puisse recevoir de l’argent, il faut que je raconte le projet de cette manière là. On cherche à séduire et à forcer certains traits. On croit qu’il faut convaincre. Or, on ne convainc que dans un second temps. Il faut d’abord formuler, accoucher dit-on, bien exprimer, bien dessiner le projet pour soi, qu’on désire faire, l’histoire qu’on désire raconter. C’est là que le piège s’ouvre. Au lieu d’exprimer ce projet, on le masque.
On ne se rend pas compte à quel point nos façons de travailler sont pré-organisés et empêchent de travailler. Il faut les déconstruire pour pouvoir s’en libérer, et après on s’en sert quand on en a besoin.
J’ai pris à bras le corps la question du scénario car c’est un outil qu’on peut investir d’autres façons. Et penser un scénario ce n’est pas que penser une structure dramaturgique, c’est aussi penser le cinéma.
On écrit bien un scénario que si on a une pensée du cinéma. Si on a une intuition du territoire cinématographique dans lequel on se sent bien, on se déplace, on se place. On n’écrit pas un scénario dans le vide. On écrit un scénario parce qu’on a déjà une pensée de la mise en scène, parce qu’on a des repères d’autres films, parce qu’on sait que l’on aime le cinéma d’une certaine manière, parce qu’on a un certain désir de cinéma. Ça influe sur la façon d’écrire, ça oriente, construit. Oui, on ne fait un Art que parce qu’on fréquente cet Art là. Cela fait partie de son éveil. Ça ne nourrit pas que l’imaginaire, ça nourrit aussi sa sensibilité.
En complément...
Un café avec Jean Breschand 1/2 « La puissance du vivant »
Propos recueillis le mercredi 13 mars 2019 à Mellionnec.