À l’occasion de sa tournée costarmoricaine du Mois du Doc, nous avons pu rencontrer Fabien Mazzocco afin qu’il nous raconte le processus de réalisation de son dernier film : De l’eau jaillit le feu, un appel à la résistance à l’accaparement des biens communs tel que l’eau en marais poitevin.
Maxime Moriceau : De l’eau jaillit le feu n’est pas ton premier film au sujet du marais. Qu’est-ce qui t’a amené à y revenir ?
Fabien Mazzocco : En 2009 j’avais commencé par donner la parole à 2 agriculteurs dans un premier film coréalisé avec David Briffaud (Pour quelques grains d’or). L’un céréalier vendéen en GAEC avec 500 ha et l’autre en Charente-Maritime en reconversion bio sur 140 ha. J’ai pu y rencontrer certaines personnes dont Julien que j’ai retrouvé en 2021, au sein du collectif bassines non merci. Ce qui m’a intéressé pour ce dernier film, c’est l’évolution du collectif qui, à ce moment, décide de changer de mode d’action. Malgré 3 ans de lutte auprès des mairies, des élues, des citoyens et citoyennes, d’actions, de leviers juridiques, enfin tout ce qu’il était possible de faire dans le cadre démocratique, les chantiers de méga-bassines commencent. De 200 ou 300 manifestant·es en 2017, ils passent à 2 000, 3 000 en 2021. Malgré cette opposition grandissante, le premier chantier de bassine commence cette même année et c’est ce qui les amène à passer à des modes d’action plus offensifs, aidés par les Soulèvements de la Terre.
Je voulais ancrer le film dans les marais pour comprendre d’où viennent ces colères que connaissent beaucoup d’habitant·es du marais, qu’il y ait quelque chose d’universel. Qu’on soit chasseur, paysan, touriste ou habitant, personne ne se réjouit de voir ces rivières à sec tous les ans. Je me disais qu’il fallait essayer de creuser la question pour comprendre comment on en est arrivé là.
M.M : Que devient Julien le protagoniste ? :
F.B : C’est compliqué pour lui, il a fait parti des inculpés du procès de Sainte Soline, donc il n’a plus le droit de se présenter sur certaines communes dont celle de Sainte Soline. Il a beaucoup de pressions, je me demande comment il tient psychologiquement. Il m’a toujours fasciné dans la puissance qu’il dégage de son amour de la vie, des petites choses et en même temps par la colère qui l’habite. Heureusement, il est bien entouré mais là il s’est un peu éloigné du marais où il y a énormément de tensions sociales.
M.M : On voit dans ton film différents protagonistes qui donnent corps à la lutte. Comment as tu vu cette évolution ?
F.B : Le visage de la lutte a changé, il s’est beaucoup rajeuni et féminisé avec des gens très éloignés mais très investis, avec une culture politique et une expérience de lutte importante. Ça a créer des rencontres et des échanges très forts. Socialement il s’est passé des choses incroyables : Bernard qu’on voit dans le film, c’est un habitant chasseur qui a vu la dégradation progressive de son environnement et quand on le voit dans des réunions avec des jeunes plus politisés, avec des convictions bien marquées à gauche, on voit qu’il se passe de belles choses sur le territoire.
M.M : Le titre de ton film est-il un appel à l’action ?
F.B : Le titre peut être un peu trompeur, il y a une certaine douceur dans le film à contrario de l’image que peut renvoyer la lutte. Pour avoir accompagné le film dans pas mal de cinémas ruraux de la région, où j’étais face à des irrigants dans la salle, pas une fois ils n’ont délégitimé le film. Même s’il y a pu avoir des discussions très tendues, il y avait des choses assez intéressantes qui ressortaient, parce qu’ils vivent viscéralement aussi cet effondrement de la bio-diversité aquatique, notamment chez les anciens. Certains pouvaient même reconnaître que transformer le marais en champ de maïs, ça avait été une erreur. Par contre, le fiston qui s’est agrandi de 100 hectares et qui a transformé le pré en céréales, c’est ok parce que c’est sur la bassin versant… Voilà le type de contradiction qu’on a pu entendre.
Au sujet des bassines, on a été noyé dans des chiffres et des notions techniques parmi lesquelles on a aussi entendu des fausses informations. Je pense qu’il faut vraiment partir du réel, du constat de terrain et du recul qu’on peut avoir depuis 20 ans avec les bassines vendéennes par exemple. Il y a différents modes d’actions qui se complètent et si l’offensive est plus spectaculaire, il y a beaucoup de recours qui ne se voient pas et ont un fort impact. La mobilisation a permis de ralentir les chantiers et de réduire le nombre de bassines et certains signes nous font espérer que l’Agence de l’eau ne soutiendra pas les prochains projets.
Fabien poursuit sa tournée cette semaine et sera à Planguenoual lundi et Paimpol mardi soir.