Maxime Moriceau : Comment définirais-tu ta pratiques ?
Emmanuelle Lacosse : J’ai une attache particulière au documentaire mais dans différentes formes. Je cherche le support audiovisuel le plus adapté à ce que j’ai envie de raconter. Les autres chemins est un film mais je fais aussi des installations vidéos et d’autres formes de créations, parfois plus « hors-format ». L’important pour moi, c’est de raconter des histoires et de découvrir de nouveaux univers.
M.M : Comment as tu rencontré Francki ?
E.L : Il y a un personnage dans le film, Magali, qui est une de mes amies. Elle travaille avec les gens du voyage depuis longtemps. Je lui avais demandé si je pouvais l’accompagner sur un terrain d’accueil il y a presque 10 ans. En y allant, j’ai rapidement compris que ça ne pourrait pas se faire comme ça. Les gens étaient méfiants et ça se comprenait. Ils me voyaient comme une journaliste ce qui ne m’aidait pas à gagner leur confiance. Mais l’envie de les rencontrer à continué. J’ai organisé avec L’association Comptoir du Doc des correspondances vidéos avec des gens du voyage de différentes aires d’accueil, ce qui m’a amenée à rencontrer Francki.
Mon désir était de raconter ce qu’il vivait et aussi de vivre cette rencontre. Tout le travail de tournage et de montage des capsules des correspondances, au fil des 8 mois m’a permis de faire découvrir mon approche documentaire à Francki et de sortir de cette image de journaliste.
Dans les mois qui ont suivi, je voyais des choses qui allaient changer dans sa vie : il allait devoir passer son diplôme de boxe et sa fille devait rentrer au collège. J’ai trouvé intéressant de construire une narration en miroir autour de ces deux axes. Je sentais qu’il avait envie de raconter sa réalité, loin des clichés sur les gens du voyage. A l’époque il avait 43 ans, la question de reprendre le voyage était présente. Il continuait à défendre son mode de vie tout en le voyant changer inexorablement.
Ce qui m’intéressait c’était de découvrir quel était ce mode de vie et quelles libertés il lui restait. Il y avait aussi le rapport à la norme et à la question de l’acceptation de la différence dans notre société.
M.M : Comment le tournage s’est il organisé ?
E.L : Au départ, je n’étais pas sûr que Denis (Le Paven ndlr) fasse le tournage mais on a senti que ça serait plus facile de travailler de famille à famille. Il fallait que je me calque au rythme de Francki. Par exemple, sur les scènes de mécanique, je lui avait dit que ça m’intéressait de le filmer. Il me prévenait la veille pour le lendemain ce qui demandait beaucoup de disponibilité. Pendant le repérage, j’ai pris pas mal de temps pour écrire et caler ma façon d’intervenir. Je voulais créer un espace pour que le réel advienne.
Ça a duré plus d’un an et puis il y a eu mars 2020. Les enjeux étaient là mais je voulais encore tester des choses. On a profité du confinement pour voir ce qu’on avait, en tout cas les éléments qu’on croyait avoir et pour tester la narration que je m’imaginais. La bonne nouvelle, c’est qu’on s’est aperçu qu’il y avait assez de matière pour monter. Donc le temps de tournage a été moins long que prévu , mais je tenais à prendre un temps long au montage, autant pour moi que pour Denis afin de prendre de la distance avec le tournage.
M.M : Et comment as-tu travaillé la musique du film ?
E.L : J’avais commencé à travailler avec un musicien dès l’écriture. Ça m’aidait à avancer. Dès qu’on a su qu’on avait la bourse de la SACEM, on a fait une résidence de travail de 10 jours avec Fabrice Dang Van Nhan dans une phase où le montage n’était pas terminé. Ça permettait d’avancer, d’expérimenter au plus près du montage, parfois on adaptait la musique à l’image parfois l’inverse.
M.M : Quels ont-été les retours de la part de tes personnages ?
E.L : Ils ne posaient pas trop de question pendant qu’on filmait, nous avions une relation de confiance totale. Vers la fin du montage, je les ai fait venir à la maison, en famille, pour voir le film. Francki était très ému et surpris qu’on le voit autant dans le film. Il se demandait si les gens allaient trouver un intérêt à son histoire. William quant à lui trouvait que d’habitude les films sur les gens du voyage les représentaient soit dans la boue soit dans de grosses Mercedes. Quand il a vu le film, il s’y est reconnu.
Après il y a eu l’avant-première, la sélection au Mois du Doc, ils étaient contents que le film soit vu et demandé. C’est lors d’une projection à St Quay Portrieux, où il est venu accompagné d’une vingtaine d’amis, que je me suis rendue compte que Francki avait besoin de voir que son discours passait auprès des gadgés mais aussi de sa communauté.
Retrouvez le film Les Autres chemins accompagné de sa réalisatrice le samedi 6 novembre à la médiathèque de Lannion. Toutes les autres dates de sa tournée en Côtes d’Armor sont à retrouver sur le site tyfilms.fr.
Photo : (Emmanuelle Lacosse (3e à gauche) entourée des personnages du film et du monteur (à droite) Denis Le Paven)